Une autre journée chez les morts. C'était bizarre de penser comme ça, parce qu'elle ne se sentait pas vraiment morte. Elle se sentait aussi vivante qu'avant. Sauf qu'avant, elle était vraiment vivante. Ou peut-être était-ce une avant mort. Qu'en sait elle en fait hein ? Elle a beau être une Faucheuse, elle n'a pas la connaissance sur tout. Ce qu'elle peut faire pour les nouveaux défunts, elle le fait. Malheureusement, les ramener à leur vie d'avant n'est pas une option. Dommage. D'un autre côté, si c'était une possibilité, elle l'aurait fait depuis longtemps.

Son dernier fauché lui avait posé des tas de questions. Des tas de questions auxquelles elle n'avait pas de réponses et aussi beaucoup trop qu'elle n'avait pas envie de répondre. Habituellement, les nouveaux morts posaient des questions égoïstes, beaucoup trop peiné et surtout trop surprit pour que le faucheur ait le moindre intérêt. Pourtant celui là lui avait posé des questions personnelles. Elle les avait éludé sans y répondre vraiment, mais ces questions lui avaient remis en tête sa famille. La douleur de les avoir perdu, même si c'était elle qui les avait quitté en quelque sorte, était toujours aussi insupportable.

Elle rentrait maintenant chez elle, après avoir passé une bonne partie de la journée à observer son époux et sa fille. Elle y passait beaucoup de temps. Elle continuait de s'intéresser à sa fille autant qu'aux premiers jours. Elle pourrait presque raconter aux gens quels étaient les réussites de sa filles comme un parent normal, mais elle évitait d'en parler. elle évitait même de parler de sa famille vivante. Elle ne parlait pas beaucoup en fait. Et elle ne parlait qu'à très peu de gens en général. C'était pas plus mal, parce que de un, son boulot de PCU la mettait sous le couvert du secret professionnel. Et ça n'aurait pas été très professionnel d'aller raconter à qui le veut "Ce nouveau mort là, ben il m'a dit que..."

Elle pousse la porte du Devil's Tail. Elle va parfois... enfin, assez souvent y prendre un verre, question de s'étourdir un peu avant d'aller dormir. Elle se demande d'ailleurs comment elle peut dormir si elle est morte. Et puis après, hein ? Ces question n'y changent rien de toute manière. Elle se dirige vers le bar et s'assoit sur un tabouret. elle n'y restera pas longtemps, comme d'habitude. Elle y restera juste le temps que le barman lui serve son verre et ensuite elle ira s'asseoir dans un coin tranquille pour le siroter en paix et ensuite elle rentrera à pied. Elle n'a pas de voiture de toute manière.

Comme tous les soirs, elle prendra un gin tonic, avec des glaçons, bien sûr.

Comme à tous les matins depuis plusieurs mois déjà, Jayden se levait aux petites heures de l’après-midi pour déguster un repas rapide qui naturellement n’était rien de bien santé. L’homme préférait participer aux chiffres de nuits au Devil’s Tail pour s’empêcher de vivre le matin et de dormir tandis que les gens qui profitaient de la vie se levaient tôt. Enfin, la mort de Jayden était plutôt lointaine dans le temps, ça faisait 10 années qu’il était décédé et des péripéties, il en avait vécu. Entre sa copine Holly, la mort de sa femme Amy, son divorce, la tentative de meurtre sur Holly par l’une de ses serveuses ; Cassie Williams, l’adoption de la petite Leslee, le départ de Holly, son remariage avec Amy, l’accident qui la plongea dans le coma et sa courte relation avec Victoria, Jayden Wellington ne reconnaissait plus la pointe d’existence qu’il avait lorsqu’on lui avait tiré deux balles en pleine poitrine, le 23 avril 2003.

C’est alors que le soleil se coucha que le propriétaire quitta son appartement de Paradise Avenue pour marcher un moment jusqu’au Devil’s Tail, bar qui lui appartenait depuis sa propre mort. La soirée débuta plutôt tranquillement, il y avait un peu d’action, mais rien de plus. L’homme servait les cocktails derrière le bar et écoutait la musique en fond. Un groupe rock jouait en cette soirée de vendredi et cela avait beaucoup attiré. Jay se souviendrait toujours du groupe The Flamme qui avait fait fureur à une époque dans le Skyline. Celui-ci s’était dissipé après la mort d’un membre lors d’une soirée ici même. Un incendie violent s’était produit et beaucoup de blessés avaient été annoncés.

En voyant une jeune femme entrer dans la boîte, Jayden se mit à sourire. Il connaissait un peu celle-ci, ne sachant pas du tout son prénom, mais une chose était certaine, Wellington lui avait régulièrement servie des verres depuis qu’elle avait trouvé la mort six ans auparavant. Elle vivant dans son quartier et bien que Jay avait fait trois résidences depuis sa mort, il était toujours resté dans la même secteur. Il s’avança vers elle et sourit. « Je suppose que ma jolie prendra un Gin Tonic avec glaçons ! » S’exclama-t-il, sans attendre un moment, il lui servit son verre.

À peine était-elle assise sur le tabouret que le barman et propriétaire venait lui-même lui proposer le gin tonic. Il ne se trompe pas, c'est exactement ce qu'elle prend. Habituellement, le barman ou la barmaid prend le temps d’attendre qu'elle annonce son verre. Cette fois, il vient de la devancer. Elle s'étonne que le propriétaire l'air reconnu. Elle fait, elle ne saurait même pas dire si c'est lui qui lui sert habituellement son verre ou si c'est parfois un autre. Elle n'est même pas certaine, mais elle croit se souvenir que parfois c'est une jeune femme. Cet instant de réflexion lui donne l'air peut-être un peu perdu, mais elle se reprend rapidement. Elle émet un petit rire penaud, mais elle hoche la tête.

- Oui, merci. Elle fouille dans ses poches pour y trouver le montant qu'elle doit remettre au barman. Si vous connaissez exactement ce que je prend, c'est que je viens trop souvent, dit-elle sur un ton qui se veut blagueur, mais qui manque un peu de vigueur et de malice.

Elle devrait peut-être songer à boire chez elle, comme ça personne ne pourrait prétendre qu'elle se retrouve trop souvent au Devil's Tail. Mais en même temps, c'est justement pour ne pas être chez elle toute seule à ruminer de sombres pensées qu'elle vient ici. Au moins ici, il y a des gens, même si tous se fichent d'elle. Elle commence à moins supporter la solitude. Elle s'y faisait pourtant très bien au début. Maintenant, elle se surprend à chercher la compagnie, sans vraiment vouloir y participer activement. Le Devil's Tail était parfait pour l'exercice, du moins pour le moment. Surtout un vendredi, tout le monde était centré sur le groupe et ça lui faisait aussi quelque chose à regarder et à écouter.

Elle a un tout léger sursaut lorsqu'il pose le verre sur le comptoir. Pourtant, il ne l'a pas fracassé dessus, mais elle était concentrée sur elle ne sait pas trop quoi. Elle sourit et tend l'argent, plus le pourboire sensiblement plus généreux ce soir. Possiblement parce qu'il l'a reconnue.

- Merci, dit-elle, et elle se lève pour aller prendre sa place un peu reculée, mais elle se rend compte avant même d'avoir décollé les fesses du tabouret que sa place est prise.

Elle a une seconde d'hésitation avant de se reposer sur le tabouret. Tant pis, elle pourra siroter son gin tonic au bar.

Depuis qu’il avait ouvert le bar, Jayden s’était mépris d’un petit jeu. À l’époque, il le faisait avec sa copine Holly, mais celle-ci ne faisait plus partie du décor maintenant. L’homme tendait de garder ses bonnes vieilles habitudes, dont celle de proposer une boisson au hasard à la clientèle, gagnant des points lorsqu’il touchait le gros lot. Cette petite technique l’aidait souvent à se rappeler des choix des clients habituels ou pas. Dès qu’il suggéra le verre à la jeune femme qu’il ne connaissait pas plus que cela, celle-ci répondit avec surprise. Cela fit rire évidemment le barman qui prenait un vilain plaisir à faire cela. « Trop souvent, je ne pourrais pas dire ça si on compare Monsieur Dupont au bout du comptoir là-bas, c’est à peine si il vit hors du Devil ! » Il pointa avec un léger coup de tête l’individu au fond. Jayden se mit à rire et leva la main en l’air pour saluer le saoulons qui préférait passer ses journées dans les bars que de rester avec sa femme et ses gosses. Enfin, personnellement, Wellington s’en fichait. Il reposa son regard vers la femme. « Je vous sers ça toute suite Catwoman ! » Et oui Jay avait une habitude, il donnait un tas de surnom aux gens, peu importe le degré de connaissance, il s’en fichait. L’homme se retourna et versa le verre demandé à la femme. Il lui glissa et agrippa le billet. Lorsqu’elle lui désigna le généreux pourboire, les sourcils du barman remontèrent d’un coup. Il sourit et plissa les yeux avec amusement. « Oh, sympa, merci ! » Jayden se souvenait bien de l’avoir vu à quelques reprises sortir de son bloc appartement à deux pas du sien, alors il posa une main sur le comptoir lorsqu’il comprit que cette femme resterait au bar. « Vous êtes bien sur Paradise, à quelques minutes du bar ? Je suis presque certain de vous avoir vu sortir de chez vous à quelques reprises ! Je suis déménagé il y a quelques mois au 1901 ! » Oui, puisque Jayden Michael Wellington avait fait plusieurs logement depuis sa mort. Un premier où il avait rencontré Holly sa voisine, ensuite un où il avait déménagé avec elle puis une maison avec Amy avant l’accident et celui-là.

- Pauvre homme, dit-elle tout bas, il ne conduit pas j'espère, s'inquiète-t-elle. C'est triste... si jamais j'en viens à cela, jetez-moi dehors, s'il-vous-plait.

Elle jette un coup d'oeil à l'homme désignée. Elle lui jette un regard presque triste. Un pilier de bar, voilà ce qu'était le pauvre homme. Elle espérait qu'il n'habite pas trop loin, parce que de le voir chanceler sur son tabouret ne donnait pas vraiment envie de le voir prendre sa voiture. Elle se demande s'il a une famille ou s'il est une pauvre âme en peine, comme elle, sans doute, mais avec moins de retenue face à l'alcool. Elle l'observe une ou deux secondes et elle se dit qu'elle n'aimerait pas être à sa place. Mais en même temps, elle se demande si être aussi ivre fait oublier la douleur et le manque pour quelques heures.

- Catwoman ? Mais elle était blonde Michelle Pfeiffer ?

Elle se souvient vaguement d'un film avec Halle Berry, mais il était sans doute mort à cette époque. Son verre servit, elle en prend une gorgée, une toute petite gorgée. Le pétillant lui picote la langue et l'alcool lui brule la gorge. Elle accueille le breuvage avec un plaisir évident. Pourvu que l'ivresse s'installe rapidement qu'elle puisse aller dormir. Elle ne dort bien que lorsqu'elle est un peu ivre. Le reste du temps, elle rêve à des fantômes, de terrifiants fantômes. C'est pourtant elle le fantôme et elle n'est pas si terrifiante. Du moins elle l'espère. Enfin, peut-être certains matins, avec une gueule de bois, elle est sans doute terrifiante, mais elle est la seule qui voit ça. Personne d'autre qu'elle. Il semble apprécier le pourboire, mais elle se dit que c'est la moindre des choses puisqu'elle viendra moins. Il sait ce qu'elle boit, c'est mauvais signe. Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle reste chez elle à boire toute seule.

Elle est plutôt stupéfaite quand il lui dit qu'il sait où elle habite. C'est peut-être mauvais signe ça aussi. Elle prend le temps de prendre une gorgée, nettement plus consistante cette fois que la première. C'est toujours aussi pétillant. Il l'espionne ? Nan, cesse la paranoïa, Veronica, il habite tout près, c'est tout. Il est un de ses voisins. Oui, s'il vit aussi 1901, il est possible qu'il l'est vu puisqu'elle habite le 1904.

- Oui, en effet, je vs au 1904. Je ne savais pas que vous étiez si près. Vous y habitez seul ?

Oh, mais quelle indiscrétion. Ce n'est pas son genre d'engager comme ça la conversation. Elle n'est tellement pas bavarde qu'elle ne savait même pas que le propriétaire du bar ou elle va boire un verre presque tous les soirs habite à trois maison que chez elle. Elle est une très mauvaise voisine. D'un autre côté elle n'a pas non plus l'intérêt de faire du bon voisinage. Elle était pourtant une excellente voisine jadis, quand elle était vivante.

- Désolée, c'est indiscret.

Après tout, si elle ne l'a jamais vu accompagné, alors pourquoi ça l'intéresserait tout d'un coup ?

L’homme qui se trouvait au fond du bar n’était certainement pas l’homme le plus joviale que Jayden avait eu la chance de connaître, mais côté client, c’était un véritable habitué. Combien de dollars avait-il dépensé au Devil’s tail depuis qu’il avait ouvert celui-ci, Wellington ne pourrait le dire, mais ça avait sans doute permis d’acheter le nouveau jukebox du fond de la salle. En tant que propriétaire, Jayden ne pouvait pas vraiment le remettre à sa place. C’était la malheureuse vie des vendeurs d’alcool. Enfin, la femme semblait plutôt triste de voir cet individu dans un état aussi lamentable. Jay serra les dents et lança. « Ouais, je vais vous sortir d’ici à coup de pied dans l’cul si jamais vous devenez comme ce type ! Ne vous inquiétez pas avec cela, ma jolie ! » Il lui fit un clin d’œil et se mit à rire. Jayden ne savait pas si cela choquerait la femme, mais bon, il était comme ça impulsif et son humour pouvait paraitre douteuse par moment. Wellington sourit et dit. « Je crains que sa femme reste avec lui parce qu’il a du cash ! En mourant, cet abrutit a hérité de la fortune familiale. Ses parents ne voulaient pas lui refiler de l’argent, sachant que c’était un saoulons… mais bon, la loi du Skyline est différente et Hop, son compte bancaire lui a été déverrouillé ! » Il baissa la tête et jeta un bref coup d’œil à l’homme. En tant que barman, Jayden connaissait l’histoire de tout le monde, ce n’était pas ce qu’il préférait, mais il s’en fichait la plupart du temps. « Et je sais pas de quelle version tu me parles, mais bon, celle que j’ai vu, c’est avec la p’tite noirâtre ; Halle quelque chose.. enfin, mes connaissances cinématographiques ne sont pas aussi développé que mes surnoms ! » Et il se mit à rire. La discussion continua sur leur lieu de résidence. Jayden ne voulait pas passer pour un fou, mais il l’avait remarqué une fois ou deux depuis qu’il vivait au 1901. Alors, il serra les dents, l’air enfantin et ajouta. « Ouais, je suis au 1901, dans le bloc voisin. Près de la mégère de Madame Connely, avec son p’tit chien énervant qui s’amuse à chier devant l’entrée.. tu dois bien avoir remarqué ça, tous les voisins s’en plaignent et non non t’inquiète, il y a rien de très choquant, je vis seul ici, en fait j’ai une autre maison un peu plus loin, mais depuis que ma femme est dans le coma, je trouve ça trop grand… » Il leva les sourcils, préférant éviter le problème.

Dépenser une telle fortune en boisson pour s'engourdir dénotait certainement un esprit horriblement malheureux ou alors qui ne supportait pas la réalité. C'était tellement triste. Veronica s'enivrait pour pouvoir dormir. Elle ne s'enivrait pas tous les jours. Parfois, elle dormait bien à jeun. Parfois, lorsqu'elle était stressée, préoccupée ou lorsque quelque chose la titillait, elle allait dormir chez elle. Enfin, chez Simeon. Elle choisissait souvent un jour où elle savait qu'il ne serait pas là et elle dormait dans son lit. Sur l'oreiller, elle respirait l'odeur de Simeon et même si elle savait qu'il n'était pas là, c'était tout comme. Elle avait l,impression d'être vivante et même si elle n'était pas tout à fait morte encore, elle savourait la différence avec bonheur. Certains de ses amis prétendaient que c'était de la torture, mais elle s'en fichait, ces instants lui procuraient plus de bonheur que de peines, même si elle devait ensuite s'arracher à ses lieux. Elle se demandait parfois si elle aurait du ne pas suivre le faucheur et "hanter" son ancienne demeure. Le résultat aurait été le même à son avis. Son faucheur avait pourtant été obligé de la harceler durant plusieurs semaines avant qu'elle accepte de traverser le tunnel.

- Je parlais du film Batman's Return. Michael Keaton était Batman. Il est à mon avis le seul Batman digne de ce titre.

Elle émet un petit rire discret et prend une gorgée de son gin. Oui, elle connaissait Madame Connely. Une charmante Dame en fait, mais qui malheureusement, s'ennuyait ferme. Certes, son chien chiait devant les entrées, dont celle du 1901, mais les voisins qui venait se plaindre avaient droit au thé et aux gâteaux l'hiver et à la limonade et aux biscuits l'été. Veronica avait eu droit à ces petites attentions quelques fois. Et ayant un jour apprit que Veronica était faucheuse, la dame lui demandait souvent des nouvelles d'en bas. C'était certes une dame sèche et aigrie, mais elle attendait son époux depuis si longtemps... et ce saligaud ne daignait pas mourir, se plaignait madame Connely.

- Vous êtes déjà allé vous plaindre à la mégère ? Vous devriez. C'est... divertissant.

Elle n'en dira pas plus. La surprise serait gâchée. Personne ne prend la peine d'aller bavarder avec les vieilles dames. Elle ne fait pas exception, mais Madame Connely était parfois convaincante. L'air relativement joyeux de Varonica se rembrunit un peu et prend les tait d'une profonde empathie. Veronica avait été dans le coma quelques heures avant que le cerveau ne soit totalement bousillé. Elle savait, pour l'avoir vu à travers Simeon, que le coma est terrible. On ne sait pas ce qui va se passer. Heureusement pour Simeon, l'attente n'avait pas été trop longue avec Veronica. Quelques heures. Ensuite, il n'avait eu qu'à la débrancher. S'accrocher à quelqu'un dans le coma depuis longtemps et pour on ne sait combien de temps doit être éprouvant.

- Je suis désolée...

Elle n'aurait pas le coeur de s'occuper de deux maisons. Son temps était déjà bien occupé, avec son boulot de PCU et sa vocation de faucheuse. Le reste de son temps libre, elle venait le boire ou elle retournait sur terre. Parfois elle faisait autre chose. Elle avait peu de temps libres et c'était aussi bien comme ça. elle ruminait moins de sombres pensées.

Bien qu’à la base, Jayden avait lancé la discussion sur Catwoman, celui-ci ne s’y connaissait pas plus que cela. Il s’imaginait bien le film avec Halle Berry, mais ses connaissances ne dépassaient guère ce stade. L’homme borda un petit sourire et hocha de la tête, surtout qu’il n’avait pas vu un film américain depuis une éternité. En tant que mort, c’était autre chose après tout. « Ouais, si vous l’dites ! » Jay sourit malgré tout. Il se retourna pour servir une bière à un homme qui le désigna au bout du comptoir. Alors après cette petite seconde d’absence, il s’empressa de continuer sa continuation avec Veronica qui se trouvait à être sa voisine depuis plusieurs années sans qu’il ne lui aille porté d’attention, mise à part sur ses cocktails au Devil. En fait, lorsqu’elle parla de Madame Connely, Jay fronça les sourcils. Il connaissait cette vieille hipie depuis qu’il était mort. Elle avait été sa voisine à son ancienne adresse puis lorsqu’il avait loué ce nouvel appartement, il avait découvert qu’elle avait fait l’achat d’un nouveau logement, directement à côté du sien. Oui, cette femme semblait bonne aux fourneaux, mais elle énervait plus que tout Wellington. « Ouais.. ça peut paraitre surprenant, mais cette folle, je l’a connais depuis disons une dizaine d’année et ce n’est aucunement une bonne femme surprenante. Cette vieille Harpie s’est toujours pointé chez moi pour m’emmerder à chaque petite chance qu’elle avait… ouais, c’était la gardienne de ma fille.. enfin.. mon ancienne fille disons. Mon ex est partie avec je ne sais trop où.. et puis après tout, c’était pas ma fille biologique… bref, j’arrête les confessions ! » Jayden se trouvait bête d’avoir autant dévoilé sa vie, en plus de sa femme qui était dans le coma. La cliente s’excusa, ce qui fit rire l’homme malgré tout. « C’est pas grave, il faut croire qu’on ne pourra jamais être un couple, alors c’est cause perdu ! » Évidemment, il n’avait pas développé.

Madame Connely n'avait jamais été vraiment détestable avec Veronica. Désagréable sans doute, mais pas détestable. Veronica croyait simplement que la dame ne savait pas lier connaissance et que comme elle s'ennuyait, elle était désagréable pour qu'on lui porte attention. Veronica sait bien, pour répondre aux urgences au téléphone, que bien des personnes âgées sont seules et qu'ils n'intéressent personne. Veronica se dit qu'elle pourrait aller voir Madame Connely plus souvent. Elle trouve que ce Wellington est injuste envers la vieille dame. Si ça se trouve, elle attends son époux depuis 30 ans. Wellington semble s'être casé, ici, sur Skyline. Mais tout le monde n,oubliait pas sa vie d'avant. Elle ne souhaitait pas la mort de Simeon dans un avenir rapproché, mais elle espérait, que lorsqu'il mourrait, il viendrait ici et qu'ils seraient à nouveau ensemble. Elle espérait agacer moins les gens, mais peut-être qu'un jour, elle sera comme Madame Connely. Une vieille dame qui attends son époux toujours vivant. Veronica prenait des nouvelles de Monsieur Connely de temps en temps. Elle répétait à la vieille dame ce que monsieur vivait et elle semblait satisfaite. Elle était désolée quand monsieur avait la santé plus fragile et était si heureuse lorsqu'il allait mieux. Mais l'espoir de le voir mourir et revenir ici brillant toujours dans ses yeux. Madame Connely avait demandé à Veronica d'aller le faucher si jamais il venait à mourir. Veronica le lui avait promis. Restait à savoir si Monsieur Connely voudrait ou non aller au Skyline. Si advenant le cas ou Monsieur Connely préférait autre chose, Veronica savait bien que Madame Connely se laisserait mourir de chagrin ou d'ennuie.

- Je crois qu'elle s'ennuie horriblement, propose Veronica d'une voix d'une douceur pleine de compassion pour la dame. Moi aussi j'ai une fille, ajoute-t-elle avec un sourire radieux, mais qui s'assombrit aussitôt. Heureusement, elle est toujours vivante, complète-t-elle avec un sourire un peu forcé, masquant à peine une tristesse infinie. Émue, mais voulant le dissimuler, elle prend une bonne lampée de sa boisson.

Il ne fallait pas dire que Madame Connely était la dame que préférait Jayden dans ce grand Skyline. Bien qu’elle soit sa voisine depuis toujours, celle-ci avait tendance à l’énerver plus qu’autre chose. Depuis qu’il avait choisis un nouvel appartement, après le coma de sa femme Amy, cette femme vivait près de chez lui à nouveau. Était-ce le destin ou celle-ci ne pouvait vivre malheureusement sans sa présence ? Il ne le savait pas et il se fichait surtout d’elle. Oui, cette dame lui avait souvent parlé de sa tristesse, de son mari et de plusieurs histoires liées à sa propre vie et cela emmerdait sérieusement le barman qui ne passait pas à quatre chemins pour lui dire de la fermer. « Si vous l’dites, m’dame ! En tout cas, une chose est certain pour moi, cette harpie, elle me casse les couilles ! » Lança-t-il sans vraiment se fier à ce que cette femme allait répliquer. Jayden agrippa le billet qu’une femme déposa sur le comptoir et lui servie un bloody cesar bien rapidement, sans arrêter la conversation avec sa voisine.

Dès son retour, Jay parla de sa fille. Cela était sans aucun doute un sujet tabou pour le barman qui souffrait personnellement du départ de celle-ci et de sa copine, enfin ex. Il regardait la femme et dit un peu plus maladroitement cette fois. « Ah oui. C’est super pour toi, enfin, je pense.. la mienne est morte, en fait, elle est décédée très jeune et puis, ce n’est pas mon sang, on l’avait adopté avec mon ex copine et puis, en quittant le secteur, elle a foutu le camp avec elle, je ne l’ai jamais revue depuis … » Il baissa les yeux et fit un bon pour tenter de changer de sujet. Il attrapa le linge à vaisselle et fit couler l’eau dans le lavabo.

Un silence gêné suit l'aveu de Jayden au sujet de son ex, et sa fille. Elle reprend une gorgée de son verre pour noyer son malaise et décide de changer de sujet. Ne parlons plus de la Conelly, ni de la famille. Veronica n'avait pas beaucoup de conversation. Surtout parce qu'elle restait seule la plupart du temps. Elle ne pouvait pas vraiment bavarder de boulot, que ce soit au poste de police ou sur terre en tant que Faucheuse. Elle avait contrarié Jayden sur deux sujet en moins de dix minutes. Bon sang qu'elle pouvait être maladroite parfois. Une discussion banale finissait toujours par tomber sur un sujet houleux. Deux cette fois.

- Je... je suis navrée.

Elle était sincère. Jayden avait fait savoir tout de suite que sa fille, il l'avait adopté, mais jusqu'à un certain point, de l'avoir perdu lui faisait mal et Ronie était bien placée pour savoir ce que c'était de perdre un enfant. Elle avait la chance par contre de pouvoir aller la voir quand elle le souhaitait, ou presque. Elle ne pouvait pas lui parler, mais elle pouvait la voir, l'observer. Roxana était une pure merveille à ses yeux. Son seul regret était de ne pas pouvoir participer à l'épanouissement de sa fille.

Bien que cela puisse paraitre le contraire, Jayden ne prenait pas la conversation à la lettre. Il n’était pas le genre d’homme à se prendre la tête avec ce genre de soucis. Ça le rendait triste, c’était vrai, mais il n’en faisait pas tout en plat, préférant avancer, bien que si Holly se pointerait à nouveau dans sa vie, souhaitant lui laisser une autre chance, il s’enfuirait sans doute avec elle. Il observait la jeune femme avec un léger sourire, voyant bien qu’elle se sentait mal face à tout ça.« Mais ne vous en faites pas avec ça, je n’en suis pas mort.. enfin, je suis pas mort de ça ! » Il se mit à rire. Lorsqu’on repensait à toute cette histoire, c’était plutôt amusant. Il souhaitait continuer la conversation avec la jeune femme, de toute manière, il s’ennuyait ce soir au bar. « Vous êtes morte depuis un moment ? » Il savait qu’elle vivait dans le Skyline depuis un moment, sachant que les années passaient et avant de lui parler, il l’a voyait passer autant dans le quartier qu’ici au Devil’s Tail. « Moi, ça va faire une dizaine d’année-là.. j’ai été buté par une balle et vous c’est quoi la fatalité ? » Il entretenait la conversation, repensant à toute son histoire, mais il s’en fichait. Jayden Wellington avait vécu beaucoup de mésaventure dans sa vie, mais la mort n’était certainement pas la plus lourde. C’était étonnant, mais réellement la vérité pour Jay.

Veronica esquisse un sourire pas très convaincant, et d'un seul côté de sa bouche. Ce n'est peut-être pas ça qui l'a tué, mais ça ne veut pas dire que sa vie est heureuse pour autant. Elle s'en veut aussitôt d'avoir de telles pensées. Qui était-elle pour juger les gens, hein ? Une Faucheuse ne devait juger personne, c'était un fait élémentaire. Mais elle n'était pas Faucheuse ce soir. Elle était seulement... seulement elle, pense-t-elle d'un air morose. Elle seulement. Seule. Elle prend une gorgée de son breuvage alcoolisé et se fige.

Vient-il vraiment de lui demander depuis combien de temps elle est morte ? Elle dévisage le barman, l'air choqué. D'accord, tout le monde est mort, ici, mais même après 6 ans, ce genre de question la chamboule. Elle ne se sentait pas morte. Elle se sentait plutôt partie. Partie lin de son époux, loin de sa fille, loin de sa famille. Elle baisse les yeux sur son verre, gênée par sa propre réaction.

- Six ans... dit-elle d'une voix éteinte.

Déjà six ans. Sa fille en avait neuf maintenant. Elle était grande et si belle. Elle fixe toujours son verre quand il lui demande comment elle est morte cette fois. elle ne répond pas durant une ou deux secondes, l'air de réfléchir à la portée de ses paroles. Il s'était fait assassiner. C'était une mort triste et angoissante. La sienne avait été douloureuse. Pas très longue, mais douloureuse. Du moins durant les jours précédents. Elle se souvient qu'elle avait eu du mal à accepter de quitter Simeon. Elle n'y croyait pas vraiment. Elle émet un petit rire, amer et triste.

- Un tout petit caillot de sang, qui s'est logé dans mon cerveau. Il a fait blocage et lorsqu'il a éclaté, il a causé pas mal de dégâts. Trop de dégâts pour que je puisse y survivre. Simeon a du prendre la décision de me débrancher. Mon cerveau était mort de toute façon.

Elle se souvenait avoir assisté à tout ça. Elle était là, sans y être.