14 décembre. Cher journal, La plupart des gens me prendraient pour un fou. Je viens de souffler ma quinzième bougie. J'ai besoin d'écrire, pour ne rien oublier. Car depuis que je suis né, j'ai retenu peu de choses. Alors il est temps que je retienne tout. Je commence, aujourd'hui, par raconter un passé peu rempli, ce qui ne devrait pas être trop long! Je suis né un 13 décembre 1977, non loin de Cheyenne, dans le Wyoming. Je ne me souviens pas de cette époque, j'étais encore bien trop jeune. Cependant mes parents - et donc moi - avons déménagé pour Cheyenne à l'été 1890. J'étais petit, je me souviens rarement du nom de ma ville natale. Mais je n'ai pas vraiment envie de le demander encore à maman. Je n'ai pas besoin de le savoir, en fait. Cheyenne me plaît beaucoup, c'est MA* ville natale, celle qui y ressemble le plus en tout cas. Je n'ai pas trop de souvenirs de l'école, jusque mes dix ans. Tout est vague, tout est flou. Mais je sais que, depuis que je suis écolier, je rêve de justice. Je veux devenir avocat. Ou juge, je ne sais pas encore. J'ai encore un peu de temps, pour me décider. C'est d'ailleurs ce que je me disais à l'époque. L'année de mes dix ans, pour la première fois de ma vie, je suis parti en vacances, avec mes parents. Nous avions quitté Cheyenne, direction New York, the Big Apple. ce ne fut que le temps d'un week-end, néanmoins, pour moi, ce fut les vacances. Plutôt que de rester à me morfondre chez moi, j'avais quitté mes frontières pour "explorer le monde". Qui a-t-il de plus, dans ma vie palpitante? Rien. Je viens d'avoir quinze ans. Je réussis scolairement, sans avoir besoin de travailler. Je pense plus devenir juge qu'avocat, pour éviter les condamnations d'innocents. Après tout, c'est un peu le juge qui décide des peines, non? Enfin, je veux travailler dans le droit. Et je travaillerai dans le droit! Voilà journal, à une prochaine fois, tu connais déjà toute ma vie palpitante. Bientôt, j'espère, je pourrais t'en dire plus sur mes aventures. 18 août. Cher journal, Ceci est sûrement l'épreuve a plus dure que j'aurai à vivre. En tout cas je l'espère. J'ai des envies de meurtre et des idées de suicide. Tout s'est écroulé en quelques secondes. Les séries télévisées, en fait, ne sont pas si irréelles que ça. Quand on parle d'un braquage qui a mal tourné, où les otages ont été tués... On se dit souvent "c'est des histoires. Ca ne peut pas nous arriver". Mais ça nous arrive. Il y a trois jours, mon père est allé acheter une bouteille de lait, à l'épicerie qui fait le coin de la rue. Au bout de dix minutes, il ne revenait pas. J'ai entendu, avec ma mère, les voitures de police débouler. Puis quelques coups de feux. Nous nous sommes regardés, choqués. Puis un policier est venu. A presque seize ans, j'ai été ouvrir. Je devais protéger ma mère. Mais j'ai pris la claque de plein fouet. Non, ce ne pouvait pas être réel! Mais pourtant si, mon père venait d'être tué lors du braquage de l'épicerie. Le gérant aussi était mort, mais je m'en fichais. Par contre, ils avaient arrêté le voleur. J'en jubilais. Il ne s'en sortira pas de prison de sitôt. J'ai confiance, vraiment, en la justice de mon pays. Dans deux jours, nous enterrons mon père. Alors voilà, journal, je laisse pour le moment ma peine se consumer. Je ne suis pas fort bavard, comprends-moi. Voilà journal, tu sais ce qui me ronge de l'intérieur. [...] 17 février 2003. Cher journal, Voilà le procès qui va faire décoller ma carrière! J'ai 26 ans déjà et on vient tout juste de me confier l'affaire du siècle. Lusitania Wendel, une jeune policière, est soupçonnée d'avoir tuer un sénateur qui la harcelait. J'ai déjà pris connaissance de tout le dossier. Un dossier complet comme pas possible. Il est impossible pour un avocat, même le meilleur, de faire acquitter l'accusée. Je ne vois pas comment elle pourrait ne pas être coupable. Enfin, je verrais bien. L'instruction commence bientôt. J'ai hâte, même si c'est un peu malsain. Elle risque la peine capitale, mais je n'y peux rien, si elle a assassiné ce type. Je ne fais que rendre une justice équitable! Voilà journal, tu sais maintenant que je vais être très occupé par ce procès, le plus important de ma carrière! 24 février 2003. Cher journal, Ce matin même, j'ai rencontré l'accusée. Une jeune femme splendide, je le dis tout de suite pour ne pas me méprendre ensuite. Elle a l'air d'être forte, avec un sacré caractère. Elle n'a pas hésité à me tenir tête. Hors contexte, j'apprécie beaucoup son sang froid et sa détermination. Mais elle nie l'évidence, ce qui a le don de me mettre les nerfs en pelote. Je n'arrive pas à la cerner. Elle répond avec un aplomb presque effrayant. Elle semble si sûre d'elle! Au moins, elle ne semble pas abattue, même après sa déjà longue détention. Pourquoi ce dossier n'est pas passé prioritaire d'abord, hein? L'égalité il paraît. Mouais, c'est fou ce que je suis convaincu moi! Il n'empêche que cette rencontre me laisse étonné. Cela s'annonce un peu plus difficile que prévu, en fait. Mais bon, j'ai encore quelques entrevues de prévus. L'instruction démarrera dans 10 jours, le temps que je m'imprègne du dossier. Même si je le connais par coeur et qu'il vire à l'obsession, je ne veux pas bousculer les choses. Voilà journal, je te laisse, je suis exténué. 28 février 2003. Cher journal, Deuxième rencontre avec l'accusée. Elle m'a paru encore plus déterminée aujourd'hui. Elle m'épate, vraiment. Ou plutôt elle force mon admiration et ma pitié, à la fois. Même si c'est une criminelle, je pense qu'elle mérite un soupçon de compassion. Toute la journée, son visage m'est revenu, sans relâche, tout comme les détails du dossier. Ca commence franchement à me monter à la tête! J'en reverrais presque la nuit! Disons qu'en sortant de la salle, je me sens retourné, indécis, troublé même. J'ose à peine me dire que l'instruction commence dans six jours... J'en oublie de vivre, à côté, ce qui inquiète ma vieille mère. Mais j'essaye de la rassurer. Ce n'est qu'une affaire de semaines. Que puis-je ajouter, journal? 6 mars 2003. Cher journal, L'instruction a commencé aujourd'hui. Déjà, on a appelé à la barre l'accusée, qui m'a laissé une étrange impression. Dieu qu'elle peut être fort et sûre d'elle! Comment fait-elle? Elle se défend de tout son être mais cela ne sera pas suffisant. L'affaire commence déjà à être délicate. Pour moi, en tout cas. J'ai croisé le frère de l'accusée. Je me suis fait un ennemi que j'aurai préféré éviter. En effet, c'est quelqu'un qui n'aurait pas de mal à me mettre en pièce. Enfin, la justice reste la justice. Lusitania, elle, fait preuve d'un calme presque arrogant face à l'accusation. Enfin, je verrais. Rien n'est soldé. On verra bien. Journal, il est tard, je vais dormir. 4 avril 2003. Cher journal, Voilà un petit bout de temps que je n'ai pas eu le temps d'écrire. Entre temps, beaucoup de choses ont changé dans ma vie. Tout d'abord, niveau famille: une de mes cousines vient d'avoir un fils, Timéo, né le 28 mars. J'en suis le parrain, ce qui m'a surpris car je n'étais même pas au courant pour sa grossesse! Je suis donc allé voir mon filleul à la maternité l'une des seules journées que j'ai eu de libre. Ce sera un futur tombeur, je peux l'assurer! Ma mère est revenue à la charge: elle trouve que je ne sors pas assez. Mais avec l'affaire Wendel (sur laquelle j'ai bien des choses à dire), je ne peux même plus aller me balader dans un jardin! Pour être tranquille, je lui ai dis que, dès l'affaire jugée, je prendrais un congé, histoire de m'occuper de moi. Il paraît que, le pire, pour elle, c'est que je sois toujours célibataire, à mon âge! Enfin, cela n'a rien d'un problème, pour moi. J'aime ma vie. Professionnellement, l'affaire Wendel est sûrement la plus brûlante de l'année! Les médias nous tournent sans cesse autour, et ça m'agace. J'ai eu le droit à pas mal de retournements de situation dernièrement. Cela a un peu ébranlé mon jugement sur le coup mais, à tête reposée, c'est toujours pareil. Le dossier est trop solide, en plaidant coupable Melle Wendel risquerait moins! Tiens, parlons-en, d'elle! Elle est toujours aussi forte et déterminée. J'ai encore eu quelques entrevues avec elle et... Disons simplement que j'ai l'air d'un maladroit en sa présence. Je mélange mes paperasses, fais tomber mes photos, renverse l'eau... Je sais à quoi cela ressemble vaguement et je craints que ce ne soit une réalité. J'ai besoin de me changer les idées, ce dossier, et surtout l'accusée, virent à l'obsession pour moi, purement et simplement. Mais bon, vu l'avancement de l'affaire, d'ici la mi-mai je risque d'avoir rendu le jugement. Journal, je ne peux en dire plus. 17 avril 2003. Cher journal, Une journée de relâche, mon rêve! Du coup, hier soir, petite virée en ville avec des amis. Oui oui, entre mec la sortie! D'ailleurs, on était tous des célib's. Il paraît qu'un gars s'est trouvé quelqu'un, du coup. Je n'y crois pas. Voilà, mon côté optimiste ressort... C'est ça d'être seul chez soi! Mais bon, aujourd'hui, je suis allé rendre une petite visite surprise à ma mère avant d'aller voir mon filleul puis de filer au cinéma voir un bon film. J'ai parfois l'impression qu'il n'y a rien qui puisse me contrarier, dans ces journées-là. Mais en rentrant, j'avais un message sur mon répondeur, pour l'affaire Wendel. Je vais pas dire que ça m'a sapé le moral mais presque... Journal, je n'ai rien à ajouter. 21 avril 2003. Cher journal, Ce fut une journée chargée, au niveau émotionnel. Elle m'a proprement et complètement vidé. Je pourrais dormir cent ans, je me demande si cela serait suffisant. Voilà, nous avons délibéré sur l'affaire Wendel. Après une dernière audition, j'ai dû rendre le verdict. Lusitania Wendel a été condamnée. Sa peine, c'est la peine capitale. Cela n'était à n'en pas douter. Mais ce qui m'a le plus touché c'est que, même alors que j'avais rendu le jugement, son regard m'a percé, convainquant. Elle clame toujours son innocence et compte bien faire appel. Je pense pourtant que, malheureusement, les appels sont perdus d'avance pour elle. Du coup, assaut de journalistes, regards noirs du frère... Tout le bataclan qui fait plaisir au mec sensé et juste que je suis qui ne faisait que son boulot. Comme si on empêchait les garagistes de s'occuper des voitures! Du coup, je suis rentré à la maison pour me vider la tête. Très efficace, j'ai ruminé toute l'après-midi avec un pot de glace. Très masculine ma réaction, je te l'avoue! Mais bon, on réagit pas tous pareil au stress hein! Moi j'y réagis mal, et après. Imaginez-vous! J'étais sur cette affaire depuis février! Elle m'obsédait, me hantait et... Il m'a fallut de quelques secondes pour clore le dossier. Déprimé, j'te jure! Journal, je retourne ruminer, demain ça ira mieux.. 27 mai 2003. Cher journal, Ca y est, je redeviens un juge banal. On m'oublie. J'ai du temps. Youpi, je vais pouvoir m'occuper de nouveau de moi. D'ailleurs, il y a une jeune femme de cet avis. Et oui, voilà dans ma vie de célibataire acharné un rayon de soleil. Isa', qui jusque là était une amie, a sauté le pas en même temps que moi. J'espère que ça va durer longtemps. Niveau boulot, c'est tranquille. Un peu de repos ça fait du bien!! Journal, j'ai l'impression de planer. 30 juin 2003. Cher journal, Ca y est, les médias m'ont lâché. Enfin, j'ai envie de dire! Vive la tranquillité, n'empêche! Je n'aime définitivement pas le devant de la scène. Mais ce genre d'affaires, si. Enfin bref, tout ça pour dire que tout va bien, qu'il n'y a rien d'intéressant et de nouveau en ce moment. A plus! 5 septembre 2003. Cher journal, Je vais quitter Cheyenne pour un mois. J'ai décidé de m'éloigner un peu de l'affaire Wendel car, bien que finie, il faut que je croise régulièrement le frère Wendel. Un jour, je sens que ça va mal finir pour moi. Enfin, moi je ne le provoquerai pas. Je ne suis pas fou, je sais l'état dans lequel je finirai. Il est temps. 2 janvier 2004. Cher journal, Voilà que commencent déjà les histoires de couple... Depuis que j'ai demandé à 'Belle de s'installer avec moi et qu'elle vit d'ailleurs avec moi, nous n'arrêtons pas de nous prendre la tête pour un oui ou un non. Je commence franchement à saturer. Et voilà d'ailleurs que je n'ai plus le temps d'écrire. Je sens que, bientôt, je ne pourrais plus écrire du tout. Bon, il faut d'ailleurs que je raccroche la plume. 7 juillet 2004. Cher journal, Et voilà que la longue série des appels est lancée... Mais, comme il fallait sans douter, Melle Wendel n'en gagne pas un. Je ne suis pas le juge chargé des appels, merci bien! Aux autres la haine du frère! Il faudrait que je songe à écrire plus souvent... 5 novembre 2004. Cher journal, Je commence à saturer de cette histoire d'amour... C'est vraiment une catastrophe, depuis qu'on vit à deux. Je commence à en avoir ras le bol. Je vais devoir prendre une décision, un jour ou l'autre. Un p'tit coup de Gue*le comme ça fait du bien d'en avoir... 26 janvier 2005. Cher journal, Voilà de longs mois que je n'ai rien écrit. J'avais juste perdu le temps, dans cette vie qu'elle faisait pétiller. Mais bon, depuis aujourd'hui, j'ai pris une grande décision. J'ai rompu avec Isabelle. Je pense que c'était la meilleure solution. La vie à deux devenait impossible, alors voilà, mieux valait cesser de se bagarrer et lâcher prise. Ce n'était que mon avis personnel, elle n'a d'ailleurs pas l'air d'accord. Mais je ne lui laisse pas le choix. Je suis trop déçu par son attitude. Je clos là pour ce soir, Journal. 13 mai 2005. Cher journal, Voilà, l'affaire Wendel est définitivement finie. Tout comme ce journal, qui me la rappelle trop. J'étais aujourd'hui à la mise à mort de Lusitania Wendel. Je suis toujours aussi étonné par la personne qu'elle était! Jusque son dernier souffle, les caméras braquées sur elle, elle a clamé son innocence. Un exemple, cette jeune femme! Un exemple! Par contre, son frère... Quand j'avais dit qu'on en viendrait aux mains, j'espérai me tromper. mais non, nous nous sommes bel et bien battus. Je dois dire que je me suis proprement fait massacrer, moi qui ne désirai pas le combat! Je suis bien arrangé du coup... Enfin, sur cela, je clos le journal que je tiens depuis si longtemps. Il y a trop de souvenirs douloureux dedans. Adieu.
Une photo, pour signer l'adieu. Voilà, la fin du journal. Pourtant, plus tard, il griffonna quelques informations.
«La piste que j'ai suivi m'amène à croire que j'ai fais fausse route depuis le début. L'affaire Wendel était truquée. Comment ne l'ai-je pas vu plus tôt? Et surtout, pourquoi laisser une trace écrite? Parce que dans ce cas-là, quoi qu'il m'arrive, on pourra toujours poursuivre. Lusitania mérite la vérité, même s'il est trop tard. Son frère aussi. Je vais de ce pas lui annoncer que j'ai trouvé une nouvelle piste qui aurait innocenté sa soeur.»
27/10/2006.
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